Prendre l’air... des ruches

Agnès FAYET - Carine MASSAUX

Jérémy Trigaux est apiculteur depuis 10 ans et membre de Promiel. Ce jardinier de formation a suivi des cours d’apiculture puis un compagnonnage avec Robert Lequeux dans l’objectif de répondre à une demande de son ancien employeur qui souhaitait des ruches pour la pollinisation. Il a aujourd’hui une bonne cinquantaine de ruches et ses activités apicoles viennent compléter son travail de jardinier indépendant.

AF - Qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’ouvrir ce Centre respiratoire de l’air des ruches où nous sommes ?

JT - Tout a commencé au CARI… J’ai suivi le Week-end de formation du CARI sur le pollen en octobre 2017 et j’ai été interpellé par la conférence de Patrice Percie du Sert, celle qui portait sur l’air de la ruche. J’ai pris contact avec lui pour lui demander des précisions et en parallèle j’ai demandé un avis médical aux médecins de la région. Patrice m’a répondu et envoyé des éléments scientifiques me permettant d’étayer ma conversation avec les médecins. J’ai désormais une relation privilégiée avec lui et nous travaillons ensemble à la construction de la validation scientifique de la cure d’air de la ruche. Une réunion médicale a été organisée ici à laquelle j’ai invité Patrice. 3 réunions médicales avec une trentaine de médecins ont eu lieu en tout et ont permis au corps médical présent d’établir un protocole pour une future étude clinique. Tout a été envisagé : les mesures d’hygiène, le traitement, le chalet, etc. Ils ont aidé aussi à la bonne communication sur le site internet et sur les dépliants promotionnels. Les propriétés anti-inflammatoires des phéromones de la ruche ont vraiment intéressé le groupe de médecins de référence.

AF - Peux-tu nous en dire plus sur les mesures d’hygiène appliquées ?

JT - Chaque visiteur a son propre masque et son tuyau pour des mesures d’hygiène. Le matériel est acheté à prix démocratique lors de la première séance. Aujourd’hui, nous ajoutons les mesures applicables à la situation COVID avec la désinfection des sièges, surfaces et appareils de mesure.

CM - Est-ce que tu envisages de poursuivre la collaboration que tu as initié avec le monde médical ?

JT - Pour le futur, j’aimerais aller plus loin dans ma collaboration avec le monde médical. Des chercheurs du CHU de Liège sont déjà venus ici l’an passé. Il est prévu qu’un doctorant vienne pour évaluer le potentiel d’une étude sur l’air de la ruche, l’étude de la composition de chaque phéromone et leur intérêt d’un point de vue médical. Le développement de ce point de vue là a été un peu ralenti. L’an dernier, il y a eu le COVID et cette année j’ai été touché par les inondations. Il semble que le CHU de Liège soit ouvert à la réalisation d’une étude clinique avec ma méthode.

CM - Il y a une ouverture du monde médical et du public aussi pour les médecines naturelles.

JT - Oui, mais il reste encore beaucoup de scepticisme. Certains optent encore facilement pour le simple puff remboursé par l’INAMI (NDLR - en Belgique, Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité). Le puff a son utilité bien sûr. La respiration de l’air de la ruche ne vient pas interférer dans le traitement. Les personnes asthmatiques qui viennent ici continuent leur traitement classique suivi par leur médecin. A la suite des séances elles revoient leur médecin et peuvent éventuellement ajuster leur traitement. La première recommandation est que cela ne se substitue pas au traitement médical. C’est le médecin qui juge, pose le diagnostic et contrôle le traitement.

AF - Ton objectif est donc de te faire connaître auprès des médecins ?

JT - Oui. C’est l’idée.

AF - Comment t’y prends-tu pour faire connaître ton activité ?

JT - L’an dernier, il y a eu un effet médiatique qui a bien fonctionné. Suite à la venue des journalistes, j’ai eu des visiteurs en provenance d’un peu partout en Belgique, surtout de Wallonie. Cette année, c’est plus structuré. J’ai des visiteurs asthmatiques, migraineux, allergiques, insomniaques. D’un point de vue médical, mon attente, c’est la validation du CHU de Liège via l’étude clinique. Tant que ce n’est pas fait, il est difficile d’envisager une véritable extension de la communication. Cela fonctionne surtout via le bouche à oreilles. J’encourage toujours vivement les médecins à venir ici et à essayer le dispositif.

AF - Les personnes qui sont ici dans le chalet sont donc suivies par des médecins. Sont-elles envoyées par des médecins ?

JT - Elles sont suivies médicalement mais ne sont pas envoyées par des médecins. Le retour médical se fait via les constats d’amélioration de leur état santé qui peut être attribué à la cure d’air de la ruche.

CM - L’étude clinique aura pour objectif d’établir des preuves scientifiques à ce sujet. D’où ton attente ?

JT - Tout à fait. Nous avons déjà un certain nombre d’études scientifiques sur le sujet. Dans les pays de l’est de l’Europe, c’est une pratique traditionnelle. L’apithérapie est une pratique courante là-bas et ils n’ont pas besoin d’investir dans des études cliniques pour prouver l’efficacité de la méthode. C’est évidemment bien différent en Europe occidentale. Il est nécessaire de faire des études observationnelles avec une base significative de patients sélectionnés en fonction des pathologies et d’analyser objectivement les effets de la cure. Dans le protocole de suivi, il faudrait prévoir des ruches orphelines pour intégrer le facteur placebo. Moi je participerai en tant que technicien apicole. Il est important aujourd’hui de bénéficier d’un appui médical pour prouver le bienfait de la méthode. C’est le sens de mon engagement.

AF - Faut-il être malade pour ressentir un bénéfice ?

JT - Non, bien sûr. Quelqu’un en bonne santé pourra obtenir un effet apaisant, relaxant. Il n’est pas rare de s’endormir pendant une séance ! Ce n’est pas pour rien que les gens stressés ou insomniaques apprécient les séances. L’air de la ruche aide aussi à normaliser la circulation sanguine. C’est un traitement en douceur. Un traitement général. On sait que le stress déclenche les crises d’asthme. Et la première chose sur laquelle ça travaille, c’est le stress…

AF - Ce sont uniquement les phéromones du couvain qui sont bénéfiques pour la santé ? Ce ne sont pas les autres phéromones de la ruche ?

JT - Ce sont les 11 phéromones du couvain qui ont été relevées dans une étude basée sur l’animal [1] et dans les travaux de Yves Le Conte [2] [3] [4]

AF - D’où le fait que l’on ne respire pas l’air de la ruche en hiver ?

JT - Voilà. Respirer l’air de la ruche est possible pendant la saison d’activité apicole de mai à septembre, lorsqu’il y a assez de couvain.

AF - Et n’y a-t-il que les phéromones qui soient en jeu dans le bénéfice de la respiration de l’air de la ruche ? Je pense à la propolis ou au venin par exemple…

JT - Je dirais que le climat de la ruche est un ensemble. On supprime un des éléments de la colonie et cela ne fonctionne pas ou moins bien. Il n’y a pas que les phéromones que l’on respire dans une ruche. Il y a en effet la propolis, etc. On ne connaît pas encore tout sur l’air de la ruche… Nous allons vers des découvertes à ce sujet. Les méthodes apicoles ont un rôle à jouer aussi.

AF - Et donc, apicolement parlant, y a-t-il une méthode de gestion particulière des colonies ?

JT - Il faut de bonnes ruches, fortes. J’ai un autre rucher plus loin pour avoir un réservoir à bonnes colonies. Il faut changer la colonie si elle n’est pas assez forte. Il faut bien gérer les ruches. C’est la base de tout. Il faut de bonnes reines, de jeunes reines. Il faut des abeilles douces. Il faut un environnement favorable. Ici il y a 50 hectares de réserve naturelle à côté. Je suis bien situé. L’endroit doit être calme et non pollué.

AF - Et pourquoi des abeilles douces ?

JT - C’est simplement par sécurité pour les visiteurs. Sans plus. Je travaille avec des abeilles Buckfast sélectionnées pour la douceur et les reines sont changées chaque année. Mes « vieilles » reines vont dans mon rucher de production. Avec les ruches du chalet, je fais du miel mais ce ne sont pas des colonies de production. Je ne récolte que si j’ai une production suffisante. Elles gardent une hausse systématiquement pendant toute la saison.

CM - Du coup, se pose la question des traitements chimiques contre varroa...

JT - Voilà… Je favorise les traitements à base d’acide et j’achète mes reines à un éleveur engagé dans le programme VSH. Jamais de traitement chimique.

AF - Nous voyons que tu vends aussi ton pollen. Je suppose que cela présente un intérêt pour toi, apiculteur, de disposer ainsi d’une clientèle parmi les personnes qui viennent respirer dans le chalet ?

JT - Je vends mon miel ainsi que mon propre pollen pour renforcer le bénéfice des séances. La synergie des autres produits de la ruche est intéressante dans la démarche proposée. Le pollen est récolté en alternance sur les ruches du chalet. J’ai une trieuse à pollen puis le pollen est immédiatement surgelé. Pour la propolis, je travaille avec un autre apithérapeute belge qui est spécialisé dans la production de propolis.

CM - Je suppose qu’il y a plusieurs méthodes pour respirer l’air des ruches ?

JT - En Europe de l’Est, les apiculteurs disposent de petits chalets aménagés pour recevoir des personnes qui veulent respirer l’air des ruches. C’est tout simple : les ruches sont sous le chalet. Il y a des systèmes 1 ruche/1 utilisateur qui utilisent soit un plateau à poser sur une ruche ou un adaptateur qui est fixé à la ruche avec une vanne d’arrêt unilatérale qui permet le mouvement unidirectionnel vers l’utilisateur. Ici, la technique est plus élaborée. Chaque respirateur est connecté à 4 ruches alors que l’efficacité optimale reconnue est de 3 ruches. Un système d’aspiration est prévu, ce qui n’est pas le cas dans les systèmes 1/1. Il n’y a pas de contamination possible de l’utilisateur vers la ruche et aucun risque non plus dans l’autre sens. L’avantage du système proposé ici, c’est aussi qu’il n’y a pas de refroidissement de la ruche.

CM - Comment cela pourrait-il refroidir la ruche ?

JT - Dans le système avec l’adaptateur et la vanne (1/1), le raccordement est direct et on aspire l’air. Un trou est fait dans la ruche pour installer le kit. Ici, le système que je propose est étudié pour ne pas refroidir la ruche.

AF - Le kit à raccordement direct est mieux pensé pour une ruche placard par exemple ?

JT - Oui, c’est ça.

CM - Peux-tu nous rappeler le principe de la cure pour terminer ?

JT - Le principe est basé sur le rythme. Les gens doivent venir deux à trois fois par semaine. Pour un asthmatique, deux fois par semaine c’est suffisant. Certaines personnes font la cure une à deux fois par an. Ce sont des cures de 12 à 15 séances avec un effet de 4 à 8 mois après la cure. Il faut prendre patience mais il y a des résultats observables qui se font sentir sur le long terme. C’est le principe des traitements doux. Les médecins qui surveillent les personnes qui viennent en cure n’ont pas constaté d’effets secondaires ni d’effets irritants.

CM - Et quelle est la durée de la séance ?

JT - Entre 1/2h et 1h en fonction des cas et du contexte.

En savoir plus ?

Tarif : 250 € euros la cure
25 € la séance
La première séance est offerte.

Ouverture :
Le centre est ouvert le mercredi, samedi et dimanche sur rendez-vous
Plus d’infos : https://www.crar.be/

Jérémy Trigaux invite les médecins intéressés à le contacter pour bénéficier d’une présentation et d’un essai du dispositif : info chez crar.be ou 0484/062 837

Références :

  • 1. Temiz, C., Kalemci, S., Micili, S. C., Tekmen, I., Yildiz, G., Acar, T., ... & Akkoclu, A. (2015). The effect of methyl palmitate on treatment of experimental asthma. J Pak Med Assoc, 65(6), 632-636.
  • 2. Le Conte, Y., Sreng, L., & Poitout, S. H.(1995). Brood pheromone can modulate the feeding behavior of Apis mellifera workers (Hytnenoptera : Apidae). Journal of economic entomology, 88(4), 798-804.
  • 3. Le Conte, Y., Arnold, G., Trouiller, J., Masson, C., & Chappe, B. (1990). Identification of a brood pheromone in honeybees. Naturwissenschaften, 77, 334-336.
  • 4. Le Conte, Y., Mohammedi, A., & Robinson, G. E.(2001). Primer effects of a brood pheromone on honeybee behavioural development. Proceedings of the Royal Society of London. Series B : Biological Sciences, 268(1463), 163-168.